Digital Factory : retour d’expérience de Nexans

Les Digital Factories sont de vraies cellules d’innovation, vecteurs de croissance et de valeur pour les entreprises. Dans le cadre de nos contenus autour des Digital Factories, nous vous proposons aujourd’hui le témoignage de Thibault Goulin, Digital Factory & IOT Manager chez Nexans.
Créé il y a 120 ans sous le nom de « Câbles de Lyon », Nexans est le deuxième plus gros producteur de câbles au monde. Avec une implantation géographique importante à Lyon, ce grand groupe industriel couvre tous les cas d’usage autour du câble, notamment la production et le transport d’énergie. Aujourd’hui, la stratégie de Nexans est de fournir de l’énergie décarbonnée à tous.
Thibault Goulin a rejoint l’Innovation de Nexans en 2017 et a pris en charge la Digital Factory fin 2020. Il partage son retour d’expérience sur la création et le fonctionnement de cette cellule dédiée à l’innovation.
Quand la Digital Factory de Nexans a-t-elle été créée ?
La Digital Factory de Nexans a été créée en 2020, initialement pour fournir des services à nos clients et développer des services à base d’Internet des Objets (IoT). Nous avons développé des solutions qui commencent à être reconnues, autour de tourets de câbles connectés, de câbles connectés ou encore d’armoires de rue connectées. Aujourd’hui, la Digital Factory regroupe une quinzaine de personnes : des architectes Cloud, des équipes de développement et des Product Owners (PO). En moins de deux ans, la Digital Factory a permis à Nexans de devenir éditeur de logiciels et son focus reste de développer des solutions pour les clients de Nexans.
Quelle stratégie avez-vous mise en place pour accompagner la création de la Digital Factory ?
J’ai rejoint Nexans il y a 5 ans, avec mes connaissances en Internet des objets et en digital, pour mettre en place les premières briques de cette Digital Factory. On a commencé petit, dans un département Services créé chez Nexans : nous avons d’abord lancé des POC (Proof of Concept), notamment un pilote sur des tourets connectés, en installant des balises GPS dans des tourets de câbles pour une grande régie d électricité française.
Après avoir testé et validé des cas d’usage avec eux, nous avons réalisé que ce touret connecté créait de la valeur pour notre client : nous avons donc décidé de l’industrialiser et de développer une première solution, d’abord en externe. Nous nous sommes beaucoup appuyés sur Microsoft ainsi que sur des partenaires Microsoft, dont Cellenza, pour développer cette première solution de tourets connectés à base d’équipes de développement externes mais toujours sur une infrastructure Cloud Microsoft/Nexans. Fin 2018, de plus en plus de clients se sont montrés intéressés par cette solution : nous avons alors investi et acheté 10 000 balises. Cela nous a permis d’adresser le marché européen et de réaliser des tests avec des clients de plus en plus importants. Face à l’intérêt croissant et la valeur générée, nous avons commencé à recruter.
A partir de 2019, la Digital Factory de Nexans a accéléré : nous avons recruté des Product Owners (PO) en interne et développé de nouvelles solutions. La Digital Factory a vraiment été constituée en 2020 avec la création d’une équipe « cœur », qu’on appelle les « Fondations ». Il s’agit d’une équipe de spécialistes Azure, notamment des équipes Cellenza, avec un architecte, un SecOps et un DevOps Cloud. Nous avons également recruté une nouvelle équipe de développement : nous avons actuellement 4 personnes en régie, des développeurs full stack et mobile pour développer nos solutions.
Pour résumer, en termes de stratégie, nous avons donc commencé petit, avec des POC, des tests, et beaucoup de travail avec des partenaires. Une fois la valeur confirmée par nos clients, nous avons scalé et recruté avec la mise en place de ces 3 équipes, ce qui nous permet aujourd’hui d’être autonomes dans le développement de nos logiciels clients.
Quelle gouvernance a été mise en place pour accompagner cette stratégie ?
La Digital Factory a d’abord dû trouver sa place : dès le départ, le choix a été fait de la détacher des équipes informatiques traditionnelles de Nexans. Nous avons donc créé cette nouvelle équipe, cet « éditeur de logiciel », au sein de l’Innovation. Il y avait une indépendance complète vis-à-vis de l’IT de Nexans, qui restait centrée sur le « core IT », une informatique régalienne sur une logique d’ERP et d’industrie 4.0. En termes de gouvernance, nous avons mis en place les liens avec l’informatique. En effet, il existe chez Nexans une gouvernance autour de la gestion de projets informatiques et de suivi de budget : la Digital Factory a donc dû s’interfacer aux processus de gestion de la demande. L’idée n’est évidemment pas de faire de l’innovation pour faire de l’innovation : aucun projet ne sera lancé sans un ROI présenté et validé.
En parallèle, la Digital Factory a dû se faire connaitre des parties prenantes de la société : nous avons beaucoup travaillé avec les équipes Marketing et commerciales de Nexans, qui sont aujourd’hui nos clients internes. Il est également capital de rester centré sur le client : le succès de nos solutions repose en grande partie sur les liens forts que nous avons avec eux.
Pour ce qui est de la gouvernance projet, nous avons toujours un binôme : un référent métier (commercial, marketing) face auquel nous positionnons systématiquement un Product Owner qui doit s’approprier le produit. En amont, les équipes Fondation font une première étude du projet pour savoir si l’on dispose déjà des briques nécessaires. Une fois les landing zones mises en place, les équipes de développement interviennent en mode Agile. Le Product Owner gère tout le projet et alimente les développeurs, et on implique les référents métier au maximum pour valider les livraisons. Au-dessus, nous avons des comités de pilotage pour suivre notre portfolio de projets et les budgets.
Enfin, un point important côté innovation, c’est de savoir quand on doit arrêter un projet : pour cela, il y a une gouvernance au-dessus de la Digital Factory pour piloter le process d’idéation, de sélection de développement et d’industrialisation de nos solutions.
Quelle méthodologie est appliquée dans la Digital Factory ?
Nous sommes sur de l’innovation qui doit apporter de la valeur pour nos clients : il est donc important de pouvoir la valider très rapidement et de mettre en place des POC et des MVP (Minimum Viable Product). Tout est développé en mode Agile. Tous nos Product Owners ont une certification CSPO et il est capital pour nous qu’ils utilisent ces méthodologies. Nous suivons systématiquement les routines de méthodes Agile, nous utilisons tous les outils Azure et Azure DevOps basés sur le framework Scrum. Les PO présentent les features en amont aux développeurs, afin qu’ils se fassent une première idée de la solution. Une fois la décision prise de lancer un sprint, nous avons une ou deux journées de sprint planning, au cours desquelles le Product Owner définit le sprint à venir avec les développeurs. Nos Product Owners sont impliqués dans toutes les routines, notamment les Daily, d’où l’importance d’avoir nos équipes de développeurs en interne, dans nos locaux, proches de nos PO ! Bien sûr, nous impliquons le client dans les démos en fin de sprint.
La Digital Factory est installée à Lyon, dans le centre innovation global de Nexans, ce qui permet aux référents métiers d’assister aux démos. Enfin, nous avons les processus de rétrospective, afin de nous améliorer d’un sprint à l’autre.
Nous travaillons vraiment en mode Agile avec le framework Scrum projet par projet. Nos trois équipes (Fondations, Développeurs et PO) utilisent toutes les mêmes méthodologies Agile. Même l’équipe Fondation s’engage, sur des sprints de 2 à 3 semaines, à livrer de nouveaux composants Azure, faire des évolutions de notre socle Azure en termes de sécurité ou encore améliorer les policies sur notre socle Azure.
Comment est géré le portefeuille de projets ?
Aujourd’hui, en termes de développeurs, malgré le recrutement d‘équipes en interne, nous restons encore limités. Nous devons donc prioriser : c’est pourquoi nous avons mis en place des routines avec les PO. Ils se réunissent toutes les 3 semaines autour du backlog global de toutes les solutions pour décider ce qui sera lancé lors des prochains sprints. Il y a une logique de priorisation très importante. Nous avons aussi mis en place une alternance entre les solutions, car les PO ont besoin de temps pour rédiger les backlogs et les features, échanger avec les métiers. Une équipe de développement travaille donc sur une solution avec un PO pendant qu’un autre PO prépare le sprint suivant sur une autre solution.
Autre point important : certains besoins ponctuels ne peuvent pas être pris en charge par notre équipe actuelle. Nous faisons alors appel à des prestataires : c’est le cas par exemple avec Cellenza Sud-Est, qui nous a fourni des capacités de développement. Dans ce cas, nous mettons en place une organisation hybride, avec un PO interne Nexans qui pilote une équipe de développement externe.
Quel cycle d’outils a été mis en place ?
Le plus important pour nous est d’avoir des solutions digitales qui tournent sur nos infrastructures : c’est pourquoi dès le début, nous les avons développées sur des solutions Cloud. C’est capital, car nous devons par la suite disposer du logiciel et de la data. Nous utilisons donc les composants Azure depuis l’origine du projet. Nous avons voulu faire du PaaS Azure pour avancer rapidement : pour devenir éditeur de logiciels et aller vite, nous avons utilisé des composants PaaS et mis en place une logique de microservices, avec des développements pouvant être utilisés par différentes solutions. Pour y parvenir, nous avons dû mettre en place un socle Azure. Quand nous avons lancé le projet il y a cinq ans, nous avions très peu de connaissances sur Azure : c’est pour cela que nous avons fait appel à des partenaires comme Cellenza. Nous nous appuyons vraiment sur les expertises de Cellenza pour définir un socle et des briques Azure utilisées par toutes nos solutions : par exemple, nous avons mis en place un composant IoT Hub pour connecter nos tourets, et réutilisé ce composant pour connecter des armoires de rue pour nos clients. Dans la logique de socle de composants qui est la nôtre, l’équipe Fondation, composée d’experts Cellenza, intervient en amont des projets pour mettre en place les landing zones sur lesquelles les équipes de développement travailleront. Nous avons aussi des services communs autour de la sécurité, des réseaux et de l’authentification : par exemple, il était important d’avoir une logique de Single Sign On (SSO) entre nos différentes solutions, afin que les clients n’aient pas besoin de différents logins pour les différentes plateformes.
Comment sont gérés les budgets au sein de la Digital Factory ?
Nexans est un gros groupe industriel, nécessairement piloté par les coûts : la Digital Factory rentre donc dans les processus budgétaires du groupe. Nous préparons dès l’été le plan budgétaire de l’année suivante. Nous prévoyons des enveloppes budgétaires, ce qui nécessite de connaitre à l’avance les projets sur lesquels nous allons travailler.
Nous avons un budget socle, qui couvre le récurrent de l’équipe Fondation et un budget projets, qui impose de faire le tour des interlocuteurs métiers pour connaitre leurs besoins. Ce dernier est établi projet par projet : aucun projet n’est lancé sans ROI clair et identifié. Nous nous inscrivons dans un processus de gestion de la demande, projet par projet, dans lequel le chef de projet métier remplit un fichier avec de nombreux indicateurs soumis à validation du comité projet. Nous avons donc un processus global macro , lié à l’entreprise, et un processus micro, projet par projet.
Enfin, a posteriori, on regarde évidemment combien un projet nous a coûté et combien il a généré de revenus.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?
Il y a d’abord eu une logique de conduite du changement : on parle de technologies Cloud, d’architecture, de DevOps, de Product Owners… Toutes ces compétences étaient assez nouvelles. Nexans avait une informatique plus historique et l’idée était d’embarquer des compétences internes Nexans. Il a fallu accompagner certaines personnes sur ces nouveaux sujets et dans cette transformation. Dans l’équipe, nous avons tous passé des certifications Microsoft type AZ 900 pour appréhender ces nouvelles technologies. On s’est rendu compte qu’il y avait une vraie appétence au changement, même si cela marche parfois moins bien avec certaines personnes.
Une autre difficulté aurait pu être le positionnement vis-à-vis de l’IT : la Digital Factory a été montée en dehors de l’IT, ce qui aurait pu donner l’impression de créer une autre équipe informatique. Il a donc fallu trouver les bonnes routines et les bons niveaux d’échanges entre l’informatique et la Digital Factory.
Enfin, en termes de budget, il n’est pas toujours évident d’avoir un ROI immédiat sur l’innovation : quand nous avons lancé les tourets connectés, il a fallu expliquer pourquoi un câblier se lançait dans l’IoT, convaincre les commerciaux de vendre ces solutions IoT… Mais le résultat est là puisqu’aujourd’hui, un gros client français utilise notre solution à l’échelle nationale. Bien sûr, d’autres projets n’ont pas dépassé le POC et il y a eu quelques difficultés, mais nous avons avant tout de beaux succès. Certes nous sommes sur des marchés de niche, mais je pense que tout gros industriel peut lancer sa Digital Factory pour faire des développements pour ses clients, trouver de nouveaux vecteurs de croissance et générer de nouveaux revenus grâce à ces solutions digitales.
Comment voyez-vous le futur de la Digital Factory ?
On se rend compte qu’il y a des millions d’objets connectés à monitorer dans nos usines : il y a donc énormément à faire autour de l’industrie 4.0. La Digital Factory de Nexans va continuer à s’étendre autour de l’industrie 4.0 et de la data. Nous venons de signer un partenariat avec Schneider Electric et nous avons beaucoup de choses à faire avec eux dans ce domaine.
On peut aussi trouver un ROI important pour des solutions internes Nexans autour du reporting financier et des données. Microsoft, via les briques Azure, peut aussi nous aider à accélérer et nous allons avoir beaucoup à faire dans le futur autour de nos solutions internes pour la data, la finance et nous améliorer dans nos process !
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